Derrière le miroir | Baie Saint-Paul | 2003

Robert Bernier | Revue Parcours

Pour l'amateur d'art un peu moins aguerri et même pour le cercle plus restreint des initiés, il n'est pas toujours facile de saisir la réelle importance du médium dans le rendu final d'une oeuvre, dans sa direction, en somme dans son essence même. 

La peinture est une expression bien singulière. Ici, la dualité et la complicité entre la matière et l'esprit sont le théâtre de manifestations où s'exercent des forces à la fois contraires et complémentaires. La peinture est un langage artistique fantastique pour la richesse des directions que le créateur peut donner à son exploration, dont le moteur est sans aucun doute les matériaux qui composent et alimentent le potentiel créatif. D'ailleurs, si elle a su évoluer jusqu'à aujourd'hui, si elle n'est pas devenue caduque avec le temps, c'est qu'elle s'est adaptée à l'émergence des nouvelles technologies tout en ayant eu la sagesse - si l'on peut dire – de garder la tradition bien vivante.

Un artiste qui avec le temps, la patience et la persévérance a réussi à affirmer un style, à concevoir un langage plastique qui lui est propre, est susceptible de s’exprimer différemment selon les médiums utilisés. Ce « multilinguisme » est un phénomène non seulement normal, mais tout à fait salutaire: il démontre en effet que l’artiste a su extraire toutes les ressources et exploiter toutes les possibilités que lui offre tel ou tel procédé, technique ou matière.

Ce phénomène est particulièrement remarquable dans les laques réalisées par le peintre René Lemay. Ce grand voyageur, friand des mystères et de la culture d’Asie, a au fil de ses excursions sur ce continent appris à maîtriser cette technique, ancestrale s’il en est une, dans l’art duquel les Asiatiques sont passés maître depuis des siècles. Là aussi le passage du temps a laissé des traces, offrant à ce médium désormais légendaire de nouvelle possibilités. À sa manière, René Lemay contribue à cette continuité qui se matérialise sous le signe de la nouveauté.

Depuis plus d’un an déjà, Lemay travaille à une série de laques qui seront présentées pour la première fois en mai 2003, à la Galerie L’Harmattan, de Baie-Saint-Paul. Les oeuvres exposées, sans être des miniatures, sont de format moyen, un choix presque imposé par la nature même de la technique. Lemay se révèle dans ses laques par des gammes chromatiques qui tranchent avec celles qui caractérisent son art pictural. Si l’esprit se maintient quant aux sujets abordés, le résultat est fondamentalement différent. La couleur, limpide et profonde, s’exprime par un éventail très large de tonalités subtiles, à la fois discrètes et bien senties. La touche aussi est différente, plus fluide.

En somme, cette nouvelle série de Lemay s’annonce riche en finesses et en découvertes. Nul doute que les laques sont appelées à prendre une place non négligeable, et peut-être même central, dans l’expression de cet artiste déjà hors du commun.