Célébration sur canvas | 1997 | Magazin'Art | Paul Gladu

Magazin’Art - Winter 1996-1997 Volume 9, No. 2.

Je vois peu d’artistes, surtout chez nous, qui donnent ce plaisir. Il y a Pellan, et quelques membres automatistes: les futuristes italiens et (Lemay est d’accord) Miro chez les Catalans. Bref, Lemay s’est ménagé une niche à part et ce, pour notre plus grande jouissance. 

Nul ordinateur, fût-il muni de quelque logiciel que ce soit, et bien que recelant une infinité d’images, ne pourra jamais surpasser la puissance de l’imagination humaine. C’est que celle-ci est accompagnée de sensibilité, de sentiments et surtout, de fantaisie - ce que l’informatique ne peut même pas concevoir. 

Cette réflexion me vient à l’esprit en voyant les peintures de René Lemay. Une oeuvre qui échappe à la classification, un défi à l’académisme, une vision située aux antipodes du réalisme pataud, une porte ouverte sur l’inédit, la fête, l’aventure.  À prime abord, les quelques tableaux aperçus tels que Sur la plage, Concert d’un soir, Rafale bleue, La danseuse nue, Chevaux de bois nous proposent des sujets précis, mais ce ne sont que des étiquettes. Peu importent les titres. Ce sont des invitations au jeu, à la turbulence, à la joie de vivre ! La palette multicolore et souvent rutilante nous livre des formes qui provoquent, se bousculent, explosent, tout en faisant allusion à des enfants, à des musiciens, à des chevaux, à des joueurs et à des acteurs de toutes sortes. Portraits, paysages, natures mortes sont confondus dans ce monde ni figuratif, ni abstrait, emporté dans une ronde sans règles et sans mesure.

D’une part, Lemay dit : « Je fais des croquis et à travers ces croquis, je tente de fixer la réalité ». D’autre part, il écrit : « Rien de plus monotone que l’illustration ». C’est justement ce va-et-vient entre le réel et l’imaginaire qui fait l’intérêt de ses tableaux. Ceux-ci nous offrent le sourire de l’existence et l’impétuosité de l’adolescence. 

Tout cela a commencé alors qu’il était très jeune, à Montréal. Lemay est né en 1934. Sa mère voulait qu’il devienne artiste. Bien qu’il ait eu une certaine formation académique, il tient à sa qualité d’autodidacte. Cela fait partie de son attitude vis-a-vis de la peinture : il a toujours tenu à sa « libre expression ». Dès qu’il a été en âge de le faire, il a bâti une entreprise de de poterie artisanale qui a obtenu un grand succès. Plus tard, il a fondé une maison d’édition, les Éditions Maylude, à Saint-Eustache. Ses premières oeuvres y furent reproduites - l’une en sérigraphie, les autres en lithographie - pour le plaisir des collectionneurs. 

Il s’est d’abord fait connaître en peignant à l’aquarelle une série de maison canadienne. Il est ensuite passé à l’acrylique, qui permet aussi des effets légers de transparence. Ce dut alors un feu d’artifice, si l’on peut dire. L’enfance, la musique, l’équitation, sont entrées dans la danse: c’est à dire tout ce qui exprime la vivacité, la liberté et, surtout, le mouvement ! Il tient alors du colibri, du poulain, de l’écureuil. Sa peinture devient une sorte de carnaval où apparaissent les personnages fantomatiques, les bais clairs, les alezans, le blanc argenté, le noir jais, des écuyers désinvoltes, des paysages qui se forment ou se désintègrent, tout un monde à la fois invitant et fugace qui entraine l’oeil vers un inconnu séduisant.

Je vois peu d’artistes, surtout chez nous, qui donnent ce plaisir. Il y a Pellan, et quelques membres automatistes: les futuristes italiens et (Lemay est d’accord) Miro chez les Catalans. Bref, Lemay s’est ménagé une niche à part et ce, pour notre plus grande jouissance. 

Texte : Paul Gladu