Au peintre René Lemay | 2012 | Francine Allard

L’âme inconsciente du pétoncle, Au peintre René Lemay, pp 42 et 43, éditions Art Le Sabord 2012)

J’ai, en 1990, écrit DEVANT UN TABLEAU DE LEMAY, un poème pour célébrer le talent de l’artiste.  Le texte figure encore dans son curriculum vitae. J’ai chanté pour lui au Café de la Grave à une époque où l’on pouvait être accompagné au piano au Café de la Grave. Il avait les cils mouillés, je m’en souviens. Je lui ai écrit aussi un poème dans mon recueil L’ÂME INCONSCIENTE DU PÉTONCLE, texte intitulé AUX ILES, IL NE FAIT PAS TOUJOURS BEAU SI TU COMPTES JAUGER L’HORIZON. Le voici.

Elles ont la forme d’un hameçon et s’engloutissent dans une mer d’encre verte
Les pêcheurs lèvent le rideau sur la scène blanche
Aucun braconnier puisqu’on pourrait les apercevoir tout le tour
Pêche côtière   pêche au grand chalut   pêche littorale
Debout dans le chalutier il pense à sa peau de pêche à ses yeux humides
Il songe à la chaleur de la couette  et aux effluves du savon de Marseille
En fixant l’horizon  lourd d’ouate grise et la ligne aveuglante du jour levant
Le pêcheur jauge l’avenir de ses os qui se tuméfient   de ses mains qui se râpent
La mer porte son gagne-pain sur son dos et dans ses entrailles
Et la mort si proche quand la tempête soulève le chalutier   le secoue et le frappe
Et le vire peut-être
Les filets s’emmêlent comme les cheveux de sa blonde
S’effilochent comme ses tresses noires   et se rompent
Et le morutier pleure ses trop longues nuits de turlutte
Qui libèrent les cages   les lignes   les cordeaux
Le pêcheur sait tout ça
Et repart   enfilant ses waders et ses bottes
Attrape son haveneau et sa tartane   saute sur le pont
( Saisit ses spatules  et ses pinceaux   et ses tubes de soleil)

et dit adieu à la terre

Texte : Francine Allard